TAI JI QUAN, STYLE CHEN : LAO JIA/XIN JIA HISTOIRE D'UNE MEPRISE
Article proposé pour Génération Tao n° H.S., décembre 2001
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En 1998 eut lieu
au jardin du Luxembourg à Paris, une rencontre de Tai Ji Quan,
pendant laquelle démonstrations et ateliers se
succédèrent, et qui fut également l'occasion de
nombreuses discussions. Ainsi celle qui porte sur les
dénominations des différents formes de Tai Ji Quan, style
Chen. De nombreuses personnes me posèrent notamment la question
de savoir sur quoi reposait cette distinction entre "ancienne" (Lao
Jia) et "nouvelle" forme (Xin Jia), introduisant de fait une autre
question majeure pour l'histoire de ce style : celle de la confusion
régnant entre ces deux appellations, et qui font que certains,
enseignants comme pratiquants, sans compter des représentants
patentés de ce style, nomment Xin Jia ce qui est en fait Lao Jia
et inversement.
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Si l'on se réfère à deux
articles récents de l'expert Wan Wen De, président de
l'association de style Chen de Shanghai, et parus dans Shanghai Wushu*, l'historique de
la forme Chen remonte à la 9ème génération
de la famille Chen dans le village de Chen Jia Gou, Chen Wang Ting
créé ce style appelé à une très
grande diffusion, alors même que, dans la société
féodale du moment, propice au développement de cet art,
écoles et styles de boxe se multiplient, entraînant ce
qu'il faut bien appeler des querelles de chapelle. Jusqu'à la
14ème génération, le style Chen ne sort
guère de la famille. C'est lorsque Chen Chang Xing (1771-1853)
prend l'initiative de l'enseigner à Yang Lu Chan (1799-1872) que
le Tai Ji Chen sort pour la première fois de la famille,
à la faveur des victoires remportées par l'invincible
combattant qu'est devenu Yang Lu Chan. Celui-ci se rend d'ailleurs
à Pékin, au palais de l'empereur, et y enseigne son art.
C'est le début de la diffusion et de la
reconnaissance du Tai Ji Quan, style Chen, et par conséquent de
Yang Lu Chan et de son maître Chen Chang Xing, même si les
modalités de l'apprentissage du premier sont en fait mal
connues. Il aurait commencé à étudier le style
Chen à l'âge de 18 ans, à Chen Jia Gou. Y
travaillant comme domestique, il l'aurait appris en épiant les
entraînements des membres de la famille. Mais aucun
élément de cette histoire n'est vérifiable. Nous
n'avons qu'une seule certitude : les origines de ce qui deviendra un
autre style, le style Yang, viennent de Chen Chang Xing. C'est donc
l'élève qui a contribué à faire
connaître le maître et le style traditionnel que celui-ci
avait transmis.
Même
forme, même génération : Chen You Beng modifie la
forme initiale. Telle est l'origine de la nouvelle forme (Xin Jia),
appelée encore petite forme (Xiao Jia). Son élève
Chen Qing Ping la transmet à Wu Yu Xiang, qui sera le
créateur du style Wu. C'est la raison pour laquelle ces deux
formes sont relativement connues.
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En ce qui concerne la distinction entre Lao
Jia et Xin Jia, entre forme ancienne et forme nouvelle, il faut
souligner que l'enseignement donné à Chen Jia Gou
privilégiait plutôt la première, tout du moins
jusqu'à l'époque de Chen Fa Ke (1887-1957),
arrière petit-fils de Chen Chang Xing. Nous sommes alors
à la 17ème génération de la famille Chen.
Chen Fa Ke enseigne la même forme, par conséquent le Lao
Jia, que Chen Chang Xing. En 1928, Chen Fa Ke se rend à
Pékin afin d'y enseigner le Tai Ji : il fait connaître
notamment le premier taolu en 83 mouvements, considéré
précisément comme la forme Lao Jia du style Chen. A ce
moment, on ne parle pas encore de "nouvelle" forme.
Des compléments d'information sont
apportés par Wan Wen De en 2000. L'auteur revient sur la
distinction entre Lao Jia et Xin Jia. Il indique qu'à la
14ème génération, le Lao Jia est
présenté comme "grande forme" (Da Jia). La suppression
des principales difficultés, en particulier les sorties
d'énergie (Fa Jing) a ouvert la voie à la création
d'une nouvelle forme équivalent à une "petite" forme.
L'ancienne forme de Chen Chang Xing et Chen Fa Ke est toutefois
préservée. Lorsque Chen Fa Ke part à Pékin,
son petit-neveu Chen Xiao Wang n'est pas encore né et il
n'étudiera le Chen qu'avec son oncle. A Pékin, mais aussi
à Shangaï et Nankin, Chen Fa Ke va donc enseigner cette
forme en 83 mouvements que son élève Shen Jia Zhen
évoquera dans un ouvrage écrit en collaboration avec Gu
Liu Xin et paru en 1963. Il n'y mentionne pas la "nouvelle" forme mais
insiste en revanche sur l'authenticité de la forme ancienne.
1985 : Chen Xiao Wang publie son propre
ouvrage. Il y présente le premier taolu (75 mouvements) comme
étant la forme ancienne ou Lao Jia. Dans cette perspective, la
forme en 83 mouvements devient "nouvelle" forme. |
En
1997, le groupe de recherche de Chengjiagou publie à son tour
un ouvrage qui perpétue cette méprise, alors qu'aucune
preuve ne peut être apportée à l'appui de cette
dénomination. Des experts comme Chen Zhao Kui, Gu Liu Xin, ou
encore |
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Li
Jing Wu, dont nous reproduisons ici les couvertures d'ouvrages voire
des extraits significatifs de leur forme "ancienne", ne l'acceptent
guère, ne reconnaissant comme forme "ancienne, également
appelée "grande forme", que celle de Chen Fa Ke et Chen Chang
Xing. |
Il me tient à cœur de rétablir
la vérité sur les origines historiques du Tai Ji Quan de
style Chen, dans la mesure où je me suis vraiment senti
interpellé par cette méprise si répandue en
France. Ayant moi-même suivi |
l'enseignement de Chen Zhao Kui dans les
années soixante et de Gu Liu Xin pendant la Révolution
culturelle, j'avais toujours connu la version officielle du centre de
Wushu de Shangaï, selon laquelle l'origine du style Chen
réside dans la forme de Chen Fa Ke, par conséquent dans
sa forme ancienne. |
Cette interprétation est dûment
confirmée par des historiens reconnus du Wushu, comme Tang Hao.
J'ai moi-même toujours repris cette version dans mon enseignement
à l'Université des Sports de Shangaï. |
Cette équivoque quant à
l'origine du style Chen m'est apparue d'autant plus regrettable qu'en
France, le terme "ancien" signifie le plus souvent "traditionnel", donc
authentique, alors que "nouveau" a une connotation à la fois
plus contemporaine et de moindre valeur. Cette dénomination tend
par conséquent à occulter l'origine véritable du
style Chen, et, plus grave encore, à induire une nuance
péjorative qui n'existe pas en Chine : pour nous, "nouveau"
signifie seulement "survenu après", ou "ayant
évolué".
Je considère qu'une réponse
partielle a été apportée par le premier article de
Wan Wen De, qui, lui-même, avait étudié avec Chen
Zhao Kui et connaissait bien Gu Liu Xin. Celui-ci est très connu
en Chine pour l'immense travail de recherche qu'il a
réalisé sur les origines du Tai Ji Quan, en collaboration
d'ailleurs avec Tang Hao et Shen Jia Zhen. C'est la raison pour
laquelle, en avril 2000, j'ai pris contact avec Wan Wen De afin de lui
demander de rédiger un autre article, plus approfondi, qui
permettrait de rétablir la situation et de la faire
connaître en France, ce que je fais aujourd'hui.
En août 2000, j'ai contacté le
Centre national de Wushu de Pékin, afin qu'il fournisse une
version officielle à même d'être reconnue en Chine
et dans le monde entier. En effet, cette confusion régne
également en Chine depuis peu, du fait que le centre de Chen Jia
Gou cherche à obtenir une reconnaissance sur le plan
international et, dans ce dessein, présente son enseignement
comme étant le seul se réclamant de la tradition
(oubliant ainsi le grand-père de leur maître). Les
responsables ont néanmoins préféré laisser
les choses en l'état afin de ne pas se couper du lieu source du
style Chen. Ils ont choisi de miser sur la solidarité afin de
développer la pratique de ce style et du Wushu en
général.
En avril 2001, je me suis rendu à Chen
Jia Gou en une sorte de pèlerinage aux sources. J'y ai
rencontré Chen Xiao Xin, de la 19ème
génération Chen, et j'ai retrouvé sur un tableau
toute la filiation de ce style, telle que la décrivent Gu Liu
Xin et Tang Hao (cf : tableau généalogique ci-joint).
Il me semble
intéressant de resituer les différentes phases de
l'évolution du style Chen, aboutissant à la
création des autres styles du Taï Ji Quan.
Selon la
généalogie officielle, Chen Wang Ting (9ème
descendance) a crée à l'origine 7 formes, connues sous la
désignation de Lao Jia. Il n'en subsiste plus que la 1ère
(I Lu) et la 2ème (Er Lu) qui est plus explosive, appelée
également Pao Zhui.
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Il faut attendre la 14ème descendance
pour que soient reconnus 3 élèves qui, ayant porté
chacun le style de Chen Wang Ting à son apogée, ont
initiés ensuite une évolution selon 3 branches distinctes.
La première branche
représentée par Chen Chang Xing (1771-1853), a
formé 2 élèves qui ont fait évoluer le
style Chen. Il s'agit tout d'abord de Chen Geng Yun qui
présentera dans sa lignée Chen Fa Ke (1887-1957).
Celui-ci fit connaître le style Chen (Lao Jia et Da Jia) à
l'extérieur de Chen Jia Gou. Le 2ème élève
est Yang Lu Chan (1799-1872) qui créa le style Yang. Quan You,
puis Wu Jian Quan (1870-1942), de la lignée Yang firent
eux-mêmes évoluer ce style en style Wù.
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La deuxième branche est
représentée par Chen You Ben qui simplifie les formes de
Lao Jia pour en retirer l'essentiel et donne une nouvelle forme plus
sobre, appelée Xing Jia, Da Jia. |
Son élève, Chen Qing Ping
(1795-1868) concentre encore plus la forme, tout en y rajoutant des
spirales ; elle a été nommée Zhao Bao Jia,
d'après la localité d'où elle était issue.
Cette pratique, sous un aspect rigide cache beaucoup de souplesse,
l'énergie est roulé dans le Dan Tian, ce qui
détermine son autre nom : le poing du cercle. |
Wu Yu Xiang (1818-1880), disciple de Chen Qing
Ping, va lui- même créer le 2ème style Wu, petite
forme, d'où sera issue le style Sun, trois
génération d'élèves plus tard, grâce
à Sun Lu Tang (1861-1932). |
La troisième branche
représentée par Chen You Hen est plus connue par ses
écrits que par une action quelconque sur l'évolution de
la pratique. |
Pour moi, l'évolution de toute
technique et de tout art est naturelle, s'il sait conserver ce qui en
fait sa spécificité. Cette quête des origines n'a
pas lieu d'être si elle ne vise qu'à conférer un
label de qualité à l'une ou l'autre. Pour ceux qui
pratiquent le Tai Ji Quan pour la santé et le bien-être,
toute forme est bonne à pratiquer. Pour ceux qui souhaitent
rechercher l'essence de cette pratique martiale, il est en revanche
intéressant de revenir à ses racines afin d'en retrouver
la quintessence.
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Maître SUN Gen Fa
* Shanghaï Wushu
1997
n°3
et
2000
n°3
Dans
les
années soixante, son fils
Chen Zhao Kui (18ème génération) commence son
enseignement à Shanghai. J'ai eu l'occasion d'assister à
cet enseignement, qui ne différait en rien de celui de Chen Fa
Ke (83 mouvements). Mais un petit neveu de Chen Fa Ke, Chen Xiao Wang,
resté à Chen Jia Gou, commence son apprentissage sous la
direction de son oncle Zhao Pi, apprenant un taolu en 75 mouvements.
Lorsqu'en 1985 il publie son ouvrage sur le Tai Ji Quan traditionnel,
c'est donc cette forme qu'il présente comme traditionnelle et
authentique, Chen Zhao Pi étant décédé en
1972, Chen Zhao Kui, parti à Pékin avec son père,
revient à Chen Jia Gou y enseigner…la forme en 83 mouvements.
C'est donc avec lui que des maîtres de Chen Jia Gou, dont Chen
Xiao Wang, apprennent cette forme, qu'ils qualifieront de "nouvelle".
Telle est l'origine de cette méprise et de la confusion
régnant entre les deux dénominations "d' ancienne" et
"nouvelle" forme. Chen Jia Gou demeure la source par excellence du
style Chen mais cette confusion y perdure de nos jours encore. Retour au 2ème Paragraphe
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